Quand JM Furlan, évoque ses 3 motivations à entraîner depuis plusieurs années, une lecture enrichissante…

« Ce n’est pas mon ambition personnelle qui me guide, de moins en moins. Autant j’ai celle de faire une belle équipe, de remplir des stades, de développer un football qui plaît, excitant émotionnellement, que mes joueurs grandissent, leur montrer et leur développer des choses, des ambitions sur le plan structurel, les infrastructures, l’entité, l’identité d’une équipe. Ça, j’aime. Autant, sur un plan perso, non. À soixante et un ans, tu ne crois pas que ce serait grave ? Albert Einstein disait que l’homme est vraiment fort quand il s’est libéré de son moi. C’est une citation de ce type. On me reproche que mon ambition personnelle se soit amoindrie. On me dit de la garder, de voir grand. Ce n’est pas mon truc. À soixante et un ans, si tu penses à ta gueule, à tes ambitions personnelles… (Il marque un temps d’arrêt.) C’est che-lou, non ? Tu ne crois pas ? Si j’arrive à faire venir 15 000 personnes ici, c’est déjà beau, non ? Mon ambition personnelle sera accomplie.

Les présidents ne veulent pas de Furlan car ils se disent que s’ils me prennent, l’opinion populaire dira : “Mais pourquoi cette burne ?” Par contre, vois-tu, partout où je vais, ceux qui ont entre dix-sept et trente ans ne disent pas pareil mais : “Hé coach, on vous kiffe ! On aime votre état d’esprit, le discours.” Les mecs prennent un selfie et me disent : “Tu pues le foot” ou des trucs comme ça. (Il est ravi.) Oh, c’est trop bien, c’est génial. Ce qui me plaît, ce sont les jeunes, les mecs à Paris dans le métro : “Ouais coach, trop content.” Ou dans le taxi : “Hé, quand vous étiez derniers avec Troyes, on ne regardait que vos matches, au moins on voyait du foot !” Cette génération ne veut pas juste du résultat, mais autre chose, s’identifier à ce qu’elle voit. Alors que les mecs de mon âge sont beaucoup plus dans une entreprise entrepreneuriale. Ce n’est pas que la faute des entraîneurs français. C’est aussi l’image que les dirigeants ont voulu impacter : le sport professionnel doit être une entreprise de résultats, comptables et économiques.
Les médias aussi ont beaucoup impacté ça. On a mélangé la culture de l’entreprise, liée aux résultats et au profit, à la culture du sport.

Ce qui me pousse dans ce métier, c’est :

  1. Comment je donne envie aux gens, par une identité socioculturelle et de jeu, de venir au stade. Et cela va du chef d’entreprise à l’ouvrier, en passant par le chômeur. Le Français n’est pas assez con, ni assez fou pour acheter un billet juste pour un résultat. Il lui faut des émotions. La saison passée, des équipes qui étaient dans les quatre-cinq premiers avaient des stades vides chez eux.
  2. En France, la carrière d’un pro dure en moyenne quatre ans et demi. Le football n’est pas un sport fatigant sur le plan athlétique mais sur le plan mental. C’est dans ce métier qu’il y a le plus de dépressifs ou d’anxiété forte. Donc comment je donne des outils, des armes à mes joueurs pour faire carrière, pour durer.
  3. Le football est le sport le plus individuel des sports collectifs. Donc, comment je fais pour créer une entité qui amène le joueur qui, naturellement conjugue à la première personne du singulier, à conjuguer à la première personne du pluriel, qu’il passe du “je” au “nous”.Donc, comment je crée un collectif très fort à la fois sur le plan des liens sociaux, du quotidien, et, sur le plan sportif, comment on arrive à avoir un tronc commun de jeu.

Comme me disait Da Fonseca (Il l’imite.) “Toi, t’es obsessionnel, t’es obsédé. Simeone se fait tuer en Espagne mais il est obsessionnel de la défense, toi c’est de l’attaque.” Mais il arrive de se faire bouger. Tu as beau avoir cette philosophie, la remise en question est permanente. Mais je ne déroge pas à mes principes, jamais. Quand tu m’engages, tu sais à quoi t’en tenir. Mon identité, c’est la phrase de Ferguson que j’ai mise à l’entrée : “Notre philosophie, c’est la prise de risques et l’audace.” C’est ça. (Il répète.) Prise de risques et audace. Alors, après, tout le monde essaie de me niquer, de me contrer. Et, parfois, tu ne peux pas le faire. Parfois, mon équipe fait des matches pourris. Cela arrive. Et puis c’est beaucoup plus long à mettre en place. (Il prend son stylo pour schématiser sa pensée sur son cahier.) Certains disent : “On commence comme ça, à défendre, et après on verra”. Non, tut-tut-tut. Moi, je dis l’inverse : “On se met là, on attaque à fond, et après on verra comment on rééquilibre.” (Il rit.) Cette culture-là te suit partout. Par contre, quand tu as la culture inverse et que tu veux basculer, tu ne peux plus. Le président arrive et dit : “Bon les gars, c’est bien, on s’est maintenus depuis deux ou trois ans, on a réussi, maintenant, comment on fait pour attirer les gens et attaquer ?” Trop tard. Ça fait trois ans que l’entraîneur dit à ses joueurs d’aller au mastic et de défendre. Quand il veut passer à autre chose, son équipe est morte.

Quand tu vois Liverpool, ce n’est pas toujours beau mais ça joue bien. On ne peut pas dire que c’est vilain, ce serait trop fort. L’équipe de Klopp, c’est tonique, dynamique, enthousiaste, audacieux. Il y a de l’émotion dans son jeu. Comme je dis à mes joueurs, on n’est pas là pour être beau mais pour transmettre des émotions : “Pour bien jouer au football, il faut du temps. Par contre, je vous en prie, ne vous dégonflez pas, montrez qui on est, notre groupe, notre solidarité, notre combativité et notre vie de tous les jours, montrez le footballeur qui conjugue à la première personne du pluriel. Montrez déjà ça. Après, on verra.”

Ce qui me flatte le plus, c’est de voir Benjamin Nivet venir me dire : “Tenez, j’ai gardé mes deux derniers maillots, pour mon papa et pour vous.” Il m’a fait un courrier, j’en ai pleuré. Ou que Blaise Matuidi m’appelle toujours “papa”. Ou quand Éric Marester dit à un journaliste qu’il m’embrasse après un match parce que c’est moi qui l’ai fait devenir footballeur pro. Ça, c’est un des sens de ma mission, vois-tu. Quand j’ai la reconnaissance des joueurs, là, je bande, je te le dis. Quand les joueurs sont heureux de vivre avec moi, heureux de ce que je leur apporte. Je vis avec eux tous les jours. Ils peuvent savoir si je suis une burne, une merde, une tête de con ou pas. Eux le savent. Jérémie Bréchet, qui a fait le PSV, l’Inter, m’a dit : “Coach, qu’est-ce que vous branlez là ? Vous pouvez aller partout, où vous voulez !” Là, ça me fait kiffer, ça me rend fier, ça me donne

Je suis tellement heureux de faire ce que je fais. Bien sûr que j’aimerais entraîner en Coupe d’Europe, en Ligue des champions, avoir vingt-cinq joueurs comme ceux qu’a Guardiola. Je leur dis aux joueurs : “Vous avez vu ce que j’ai vu les gars ? Putain, les mecs trop forts. Mais comment on ne peut pas faire ça ?” Les avoir un an, avec un jeu à 2 000, le ballon qui ne part pas, les une-deux… Mais ce n’est pas un regret, le mot est trop fort. On est des privilégiés. On vit notre passion. »

Extrait du magazine France Football